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Le lendemain, à six heures, la pirogue avait été hâlée au bord de la mer. Firmin s’y embarqua et les six vigoureux nègres qui la montaient, profitant du moment où « la mer prenait haleine, » la posèrent pour ainsi dire sur le dos de la lame, puis, avec une rapidité merveilleuse, ils s’élancèrent, tous les six en même temps, sur leur banc de nage et gagnèrent le large, après avoir trempé leur main droite dans les flots pour se signer, ce que n’omet jamais de faire un nègre quand il s’approche de l’eau. Une fois au large, grâce à la précision et à l’habileté des manœuvres, le danger était moindre ; le sang-froid et le calme que montra Firmin achevèrent de confirmer l’équipage de la pirogue dans l’idée qu’il était véritablement quimboisé.

Nous avons raconté le tragique dénouement de cette traversée.

C’était à quoi Firmin rêvait en fumant son bout de nègre, à la porte de la case de Jérémie. Puis, peu à peu, il essaya de donner un autre tour à sa pensée, et de la reporter sur madame de Mortagne, pour laquelle il venait de risquer sa vie et de faire noyer six malheureux.

— Il est vrai que c’étaient des nègres, aurait répondu quelque créole à tous crins, comme on nomme les créoles imbus de tous les préjugés coloniaux. Ce sont des hommes tout d’une pièce.

À ce point de son aventure, Firmin se demanda encore si c’était bien la peine d’avoir couru un si grand danger. Il voulut de nouveau feuilleter le poëme déjà poudreux de ses amours. Hélas ! ses yeux n’y retrouvaient plus une seule de ces strophes triomphantes que jadis son cœur chantait si bien !

— Allons, murmura-t-il tout à coup, ces choses n’ont comme les autres qu’un temps, à ce qu’il paraît ! L’amour a son occident ainsi que le soleil ; une fois couché