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Du moment que nous prétendons être citoyens américains, il faut nous conduire devant un tribunal américain. Or, plutôt que de faire ce voyage, les croiseurs préfèrent recevoir de nos mains la prime de une livre sterling par nègre capturé et nous laisser partir.

— N’avez-vous jamais été pris ?

— Une seule fois ; nous étions en pleine mer, loin des côtes, le temps était des plus calmes et des plus lourds ; il n’y avait pas moyen d’échapper. Du moment que le croiseur anglais fut en vue, j’avisai aux moyens de pouvoir sortir éventuellement d’embarras. Je jetai à la mer toute ma provision d’eau sauf une barrique. Ce que j’avais prévu se réalisa. Par un motif ou par un autre, le commandant de la corvette ne nous prit pas avec lui, et plaça sur notre bord une vingtaine d’hommes sous les ordres d’un lieutenant qui était chargé de nous conduire je ne sais plus où. Forcé de toucher à la côte pour prendre de l’eau, le lieutenant, qui naviguait pour la première fois dans ces parages, fut obligé de me prendre pour pilote. — « N’essayez pas de nous échapper, me dit-il, en me remettant la direction du gouvernail, car je vous brûlerai la cervelle. »

Je me dirigeai sur un point de la côte où se trouvent un grand nombre de comptoirs de négriers. Dès qu’on vit mon navire, qui était parfaitement connu, la mer se couvrit d’embarcations ; sur les injonctions du lieutenant, toutes se retirèrent. Mais j’avais eu le temps de faire savoir en espagnol, à plusieurs personnes que je reconnus, qui j’étais et à qui on avait affaire. Aussi, dès la tombée de la nuit, les nègres, revenant en force, nous reprirent. Quant à notre équipage anglais, après l’avoir pourvu d’une très-bonne embarcation, munie de tout ce qu’il fallait pour prendre la mer, nous lui signifiâmes de s’éloigner au plus vite.