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nom d’André, en collant son oreille contre sa bouche pour surprendre une réponse. À quelque pas de là gazouillaient les cascades d’une fontaine. Tobine y courut, emplit ses deux mains d’eau fraîche qu’elle vint jeter sur le visage du jeune homme ; mais après cinq ; ou six courses pareilles, elle pensa qu’il était plus simple de porter à la source le corps de ce malheureux. Elle le saisit par les épaules, et le traîna avec peine jusqu’aux bords de la fontaine, où elle lui lava le visage. Au bout de quelques instants, il lui sembla que ses membres raidis s’assouplissaient un peu, puis la respiration revint, et sur les lèvres blêmes d’André, un « merci » à peine articulé tremblota pour ainsi dire.

— Il vit encore ! s’écria Tobine avec une joie et une expression dont Dieu seul, en ce moment, put voir et comprendre l’énergie passionnée.

Soulevant dans ses bras la tête d’André, elle lui dit :

— Maître, avez-vous la force de parler ?

André tourna les yeux mourants vers la jeune mulâtresse, mais sans reconnaître, dans la profonde obscurité qui enveloppait cette scène, la personne à qui il s’adressait :

— Est-ce vous, Antonia ?… murmura-t-il. Qu’est-il donc arrivé ? Votre honneur est perdu… Dieu, que je vais rejoindre, m’est témoin que j’aurais voulu le racheter au prix de ma vie. Fuyez…

Il fit un mouvement comme pour se dresser sur son séant, puis tout à coup :

— J’étouffe, dit-il, j’étouffe…

Tobine entendit un dernier râle inarticulé expirer dans la poitrine d’André, qui retomba mort.

La mulâtresse resta insensible, la tête appuyée contre celle du jeune homme. Superstitieuse et craintive comme le sont tous les gens de sa race, Tobine, une fois réveillée