Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/277

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le jardin par où la fuite lui paraissait le plus facile à exécuter.

Tobine trouva entr’ouverte la petite porte que le marquis, dans sa précipitation, avait négligé de fermer en arrivant. Une fois dehors, la jeune mulâtresse se prit à courir ; soit bonheur, soit adresse, elle parvint à déjouer la surveillance des serenos. Ceux qui paraissaient à leur poste, ou dormaient réellement, ou faisaient semblant de dormir sur le pas d’une porte. Ces sommeils complaisants et grassement payés souvent, autorisaient tous les scandales, tous les crimes, tous les désordres dont la Havane était le théâtre chaque nuit.

Tobine avait donc traversé sans difficulté la ville, et avait gagné la route de la Magnificencia, où elle arriva tout d’une haleine. À une certaine distance, elle aperçut à travers les feuilles des arbres du parc la lueur tremblotante de la lumière discrète qui avait été allumée dans le salon du pavillon pour illuminer une soirée de bonheur, et qui n’avait éclairé qu’un crime. Puis Tobine entendit le hennissement triste d’un cheval qui, de temps en temps, troublait le silence de la nuit.

La grille du parc était ouverte ; Tobine entra, et courut droit au salon. En y arrivant, elle se sentit prête à défaillir à la vue du sang qui couvrait la natte, et dans lequel trempaient ses pieds nus, comme le sont presque toujours ceux des esclaves, et déchirés par la course qu’elle venait de faire. Son énergie la soutint, et elle chercha du regard le cadavre d’André. Le salon était vide ; elle saisit le flambeau qui brûlait sur un meuble, et le promena autour de la pièce ; rien. Elle éprouva un éblouissement et une défaillance de cœur, résultant du reflet que renvoyait ce miroir de sang étendu par terre, et de l’odeur nauséabonde qui lui montait au cerveau. Tobine fut obligée de s’asseoir un moment sur un siége bas, à deux pas