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tableau des mœurs de la vie coloniale. Soit dit sans vouloir porter préjudice à la vertu des femmes du Nouveau-Monde, il faut constater que tout, dans les habitudes de l’existence intérieure et dans les dispositions même des habitations, concourt à raffermir cette vertu, ou du moins à entourer de difficultés presque insurmontables les occasions de défaillance.

D’abord, les appartements sont ouverts de tous les côtés, à tous les vents, à tous les regards. Voulût-on les clore, il resterait encore à l’indiscrétion et à la jalousie assez de moyens d’exercer leur surveillance. Les murailles et les cloisons des maisons d’Europe sont remplacées, aux colonies, par des lames de persiennes à jour ; les portes ne sont jamais fermées, en sorte que les nombreux domestiques de chaque maison circulent d’une pièce à l’autre à toute heure ; il suffirait que l’entrée fût une seule fois refusée, contre l’habitude, à un d’eux, pour donner l’éveil aux soupçons.

Puis, au nombre de ces domestiques, il faut toujours compter deux ou trois de ces esclaves privilégiés, enfants et adultes, de l’un et de l’autre sexe, ne quittant jamais les talons ou la jupe de leur maîtresse, toujours dans sa chambre dont l’entrée leur est familière, dans son salon même où assis dans un coin, ils assistent à toutes les visites, à toutes les conversations.

On peut dire qu’aux colonies les maisons sont de verre ; du haut en bas on voit ce qui s’y passe, on entend ce qui s’y dit. Changer quelque chose à ce despotisme intérieur, ce serait déclarer qu’on veut mal faire ; si une servante ou le moindre négrillon trouvait la résistance d’un verrou derrière une porte dont il aurait essayé de tourner la serrure, aussitôt la domesticité entière serait assemblée, l’œil collé aux fentes des persiennes et l’oreille aux écoutes.