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Les esclaves de M. V…, parfaitement édifiés, comme je l’ai dit, sur les privations de la maison du maître, ne manquaient jamais de saisir un prétexte pour envoyer à leurs jeunes maîtresses tantôt un beau panier de fruits, ou bien les plus grasses volailles de leur basse-cour. C’étaient là les préludes touchants d’une reconnaissance et d’un dévouement qui bientôt devaient se manifester d’une façon éclatante.

Le ciel avait béni jusque-là les efforts de M. V… à accomplir noblement sa difficile tâche. Les récoltes avaient été abondantes et lucratives, en sorte que rien n’avait empêché le digne planteur de satisfaire à ses engagements. Mais vint une année de sécheresse affreuse ; les cannes à sucre furent brûlées par le soleil, comme si un incendie avait dévasté la terre. D’un seul coup les fruits de tant de travail, d’économie, de privations se trouvaient perdus. C’était un véritable naufrage en vue du port. Il fallut se résigner, recommander son âme à Dieu, et se laisser engloutir dans les flots.

M. V… en appela aux preuves qu’il avait données de sa haute probité. Son noble cœur et sa délicatesse en affaires étaient assez connus pour qu’il trouvât grâce devant ses créanciers, et il obtint de tous, excepté d’un seul, le répit et l’indulgence que la déplorable situation de la colonie faisait un devoir d’accorder chrétiennement. Ni prières, ni promesses ne purent toucher cet impitoyable créancier. Il s’arma de toutes les armes que fournit l’arsenal du Code, et se présenta sur l’habitation de V… pour opérer la saisie à laquelle la loi l’autorisait.

On peut comprendre mieux que je ne le saurais dire ce qu’il y eut de pleurs répandus dans cet intérieur, la veille du jour où l’exécution devait avoir lieu.

Lorsque le soir, l’atelier de celle des habitations sur laquelle vivait V… se réunit devant la maison pour faire en