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Églantine n’avait aucun symptôme de maladie apparente, et cependant elle portait les traces d’un dépérissement général. Chose étrange, à certains moments, les progrès du mal s’arrêtaient, la santé revenait florissante comme par le passé. La joie et l’espérance rentraient alors dans la famille ; les vagues soupçons qui naissaient dans l’âme de M. de Surgy, disparaissaient devant ce soudain retour. Puis, une fois que la confiance était bien rétablie, les mêmes signes extérieurs de décomposition se montraient de nouveau. Églantine questionnée, déclarait ne rien éprouver de contraire à ses impressions habituelles ; elle s’étonnait même de se voir et qu’on la crût malade.

M. de Surgy se décida à emmener sa fille sur son habitation. Là sa santé se raffermit si complétement, qu’après un mois de séjour aux Pitons, Églantine revint en ville plus belle, plus souriante, plus éblouissante qu’elle n’avait jamais été.

Hélas ! le poison, cette arme dont j’ai dit que les esclaves se servaient avec une astuce merveilleuse, était l’unique cause des poignantes angoisses qu’inspirait l’état de mademoiselle de Surgy. Les nègres, je le répète, appliquaient le poison de toutes manières ; soit qu’il dût provoquer une mort violente et instantanée, soit qu’il dût produire diverses maladies très-fréquentes sous le climat des Antilles et qui peuvent avoir une toute autre origine ; soit enfin qu’il dût jeter dans la santé ces perturbations profondes et étranges dont mademoiselle de Surgy ressentait les terribles et lents effets. Dans ce cas, le nègre joue avec la vie de sa victime. Il se donne la joie féroce de la conduire au bord de la tombe, puis de l’en arracher soudainement et de diriger les progrès du mal à son gré. C’est par ce moyen qu’il écarte les soupçons, se réservant également des retours de conscience, ou enrayant sa vengeance quand la cause vient par hasard à disparaître.