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de quel côté sont les torts, c’est pour le créole qu’ils prendront parti.

Entre M. de Vauclair et M. de Gerbier, Manette ne comprenait donc pas que sa jeune maîtresse eût hésité. Elle comprenait moins encore que ses remontrances, ses conseils et ses sortiléges, à cet endroit, eussent été prodigués en pure perte.

Manette, châtiée pour avoir défendu la cause du créole, éprouvait un double ressentiment, avait une double vengeance à tirer. Le seul coupable, à ses yeux, était l’officier de marine, qui devait supporter le poids de la haine qu’elle avait accumulée au fond de son cœur. Elle résolut d’atteindre de Vauclair par tous les moyens possibles, et d’abord de le frapper dans son bonheur le plus cher.

En moins d’une seconde, le souvenir de toutes les bontés dont l’avait comblée sa jeune maîtresse s’effaça de la mémoire de Manette.

L’exil sur l’habitation était donc pour elle une cause de désespoir profond. Sa vengeance allait lui échapper, Elle se retira dans sa chambre, en ferma hermétiquement toutes les ouvertures, et, au milieu des ténèbres, adressa une sorte d’invocation au Diable ; le tout sérieusement, et, chose étrange, avec les formules de la plus grande et de la plus sincère piété. Cette invocation n’avait d’autre but que de faire sanctionner, par un pouvoir supérieur, les exécrables résolutions qu’elle avait arrêtées dans son esprit. Après avoir ainsi enivré son imagination, elle se tint pour absoute, à l’avance, par le Démon, le vrai Dieu des nègres dans leurs mauvais jours.

Manette alla trouver un jeune mulâtre, domestique dans la maison, et avec qui elle vivait sur un pied de cordiale entente, tolérée parfaitement par les mœurs coloniales, même sous les yeux des jeunes filles habituées, dès leur