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narines s’enflèrent, et le blanc de ses yeux s’injecta de jaune.

— Alors, dit-elle, vous ne voulez pas me donner de billet ?

— Non, Manette.

— C’est bien, fit la cabresse en fixant sur Églantine un véritable regard de bête fauve.

Au moment où elle allait sortir, mademoiselle de Surgy lui dit :

— Puisque te voilà ici, Manette, tu vas m’habiller.

— Moi ? fit la cabresse ; petite mam’zelle veut badiner (plaisanter). Depuis quand les nègres d’habitation font-ils l’ouvrage des domestiques ? Je ne suis plus au service de petite mam’zelle ; je vais faire mon panier (mes malles) pour partir.

Manette quitta la chambre d’un pas tranquille. Églantine, tout abasourdie de cette impertinente réponse, se prit à pleurer. Son premier mouvement fut d’aller se plaindre à son père ; mais elle sentit que Manette paierait trop chèrement sa faute. Elle préféra se montrer indulgente.

Manette n’avait tant insisté pour obtenir un billet de maître, qu’afin de ne pas quitter la ville. Elle ressentait moins l’humiliation de sa condamnation au travail de la campagne et de sa volée de coups de cravache, qu’elle n’éprouvait de rage du peu de succès de ses démarches et de ses sorcelleries en faveur de M. de Gerbier. De tout cela Manette voulait tirer vengeance.

Les nègres ont une préférence très-marquée pour les créoles sur les européens ; dans une lutte, de quelque nature qu’elle soit, ils formeront toujours des vœux pour les premiers. Qu’un duel ait lieu entre un créole et un européen, ils se livreront aux plus ardentes dévotions et à toutes les fantaisies de leurs superstitions, pour que le sort soit à l’avantage du créole. Survienne une querelle, sans savoir