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III


Pour tirer profit des ressources de la petite habitation qui eût assuré de beaux revenus à un propriétaire industrieux, il eût fallu à madame Mongenis dix ou douze bons nègres habitués aux travaux de la campagne. Constant, malhabile à manier la bêche, parvenait tout au plus à tenir tête, dans un coin du potager, aux envahissements des mauvaises herbes. Les quelques légumes qu’on tirait de ce potager et les fruits qui poussaient au hasard, la vieille négresse allait-chaque matin les vendre au marché de la ville, et revenait le soir avec quelques dix sous que Francilia gaspillait volontiers en sucrerie et en pâtisserie, sans s’inquiéter si, le lendemain, il y aurait seulement une queue de morue et un couï de farine de manioc à manger dans la maison.

Mais il advint qu’un jour la vieille négresse mourut à la peine. Il n’y eut plus personne pour aller vendre au marché les maigres produits du petit jardin ; car il ne fallait pas songer à voir la jeune métive s’élever jusqu’à ce grand acte de courage et de reconnaissance de venir au secours de sa maîtresse. Constant de son côté, prit acte de ces circonstances pour déclarer que ce n’était plus la peine qu’il cultivât la terre. Il jeta sa bêche aux orties du jardin, et, après plusieurs jours d’une oisiveté qui finit par lui peser, il demanda à madame Mongenis qu’elle voulût bien lui louer son corps, afin d’aller en ville exercer son état de menuisier.

L’esclave n’a jamais nié qu’il fût la propriété de son