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Comme si madame Mongenis eût dépensé, dans cette lutte de dix années qu’elle venait de soutenir, toute son énergie, elle n’en trouva plus pour résister au coup qui la frappait. Il faut lui tenir compte aussi de son âge et de la plaie qu’avait ouverte en son cœur la mort récente de son fils. Madame Mongenis se retira dans la retraite dont j’ai parlé, machinalement, presque sans conscience de l’avenir.

Cette habitation était tout ce qui restait à madame Mongenis d’une fortune qui avait compté parmi les plus belles de la colonie. Tout indiquait que cette propriété avait pu être une demeure somptueuse. On y arrivait, en partant du bord de la mer, par une longue et large avenue de cocotiers, à l’extrémité de laquelle se dressaient en étages superposés trois terrasses reliées entre elles par de vastes escaliers en briques. La dernière était ombragée d’une magnifique tonnelle qui abritait la façade de la maison et, en faisant équerre, courait le long de bâtiments qui avaient dû être des dépendances très-importantes. Cette tonnelle était couverte en partie de vignes, en partie de pommes-lianes. Les treillages regardant la mer étaient ouatés d’épais jasmins et d’un rideau de plantes grimpantes. Le dôme de la tonnelle ployait sous le poids de cette vigoureuse végétation ; le soleil, qu’il vint d’en haut ou de face, n’avait jamais pu percer ce bouclier de verdure, à ce point que les dalles de marbre du devant de la maison suintaient d’humidité. On sentait même sous cet abri une fraîcheur plutôt froide que bienfaisante.

Vers le milieu de l’une des terrasses qui eussent pu faire de magnifiques piédestaux de fleurs à la maison, s’ouvrait, à gauche en regardant la mer, un escalier de marbre conduisant à une des plus belles allées d’arbres centenaires que j’aie vue dans ce pays, où la végétation est si luxuriante qu’elle est prodigue en splendeurs de ce genre. Cette allée, placée conséquemment dans un fond, côtoyait