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compagnon, qui ne comprenait ou ne devinait encore rien demeurait atterré.

— Mon pauvre ami, me dit l’habitant, nous voilà ruinés ; depuis avant-hier le poison a ravagé l’habitation.

L’Européen dressa la tête et devint blanc comme un sépulcre.

— Cela a commencé, comme toujours, par les mulets et par les bœufs, il y a huit jours. Vous savez que mes nègres m’aiment beaucoup. Je fis appeler le commandeur et lui ordonnai une active surveillance ; ce qu’il fit ou ne fit pas, je n’en sais rien : toujours est-il que la nuit suivante je perdis de nouveau trois mulets et quatre bœufs. Au moment de la roulaison, cela devenait inquiétant. La mortalité continua ; trois de mes chevaux périrent ; quarante-huit heures après, il ne me restait plus que ces deux squelettes que vous avez dû rencontrer dans la savane, et qu’on m’a laissés comme ces ruines qui attestent la place où fut un monument ou une ville. Mais ce n’est pas tout, le vertige a pris mes nègres eux-mêmes, et depuis hier, mon hôpital est comble ; ils y meurent comme des mouches, d’une maladie indéfinissable et indéfinie. Comme si ce n’était pas assez, dans le petit bois qui est derrière le moulin, on en a trouvé hier au soir dix, et ce matin cinq de pendus. Je ne sais plus où cela s’arrêtera !…

— Quelle horreur ! s’écria le jeune européen.

— Ne soupçonnez-vous personne ? demandai-je au pauvre créole.

— Eh ! mon Dieu ! me répondit-il, je vous le demanderai à vous, qui connaissez les mœurs de ce pays, sait-on jamais qui il faut soupçonner ? Tout ce que je puis vous dire, c’est que mon commandeur, mon raffineur et mes deux chefs muletiers sont partis marrons. Vous avez dû voir qu’on avait commencé à couper des cannes ; l’atelier ne veut plus ou plutôt ne peut plus aller au travail. Com-