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son, le moment de la récolte, dirions-nous ici. C’est alors que le mouvement est le plus énergique sur une habitation.

Un atelier de deux cents nègres enveloppe d’un cercle mouvant et noir la pièce (champ) de cannes, avançant pas à pas, uniformément, abattant sous le coutelas la plante juteuse, jusqu’à ce qu’il ne reste plus, au milieu de la pièce, qu’un bouquet d’une dizaine de pieds de circonférence. Cette espèce d’îlot de verdure est le repaire des serpents et des rats, chassés en avant et cernés de tous côtés. Il se livre bien certainement, dans les ténèbres de ces lieux, des combats fantastiques. Pendant la nuit, ceux des rats, et ils sont monstrueux, que les serpents n’ont pas dévorés, parviennent à s’évader ; mais les serpents un peu imprudents, et surtout rassasiés, se blottissent avec obstination dans ces fourrés où on leur a ménagé de si pantagruéliques festins. Puis, quand la coupe est achevée, on met le feu à l’îlot, en faisant bonne garde autour, pour que ni reptile ni rongeur n’échappe à l’auto-da-fé. Des rats, quelques-uns trouvent à s’enfuir ; mais presque tous les serpents sont pris ; et comme ils ont dévoré bonne quantité des quadrupèdes, il se trouve que la chasse est tout naturellement double.

La coupe d’une pièce de cannes dure plusieurs jours et s’exécute au carillon de gaies chansons. Dès le second jour, pendant qu’une partie de l’atelier taille en plein dans ces petites forêts de cinq ou six pieds de haut, l’autre moitié rassemble les cannes en paquets ou gerbes, et les charge sur des mulets bâtés ou sur de pesants cabrouets (sorte de charrettes) attelés de bœufs mugissants. Les muletiers en croupe partent au galop, faisant claquer leur fouet et à la file les uns des autres. Du champ de cannes au moulin, où mulets et cabrouets viennent jeter leur charge, c’est un va-et-vient continuel, une espèce de chaîne