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XXVI


La jeune fille s’en alla lentement, la tête baissée et le cœur inquiet. Un sourire amer effleura la lèvre de Firmin et une larme monta à sa paupière, quand, au moment d’entrer dans la case, Madeleine se retourna vers lui pour lui adresser un regard de supplication et de reproche peut-être.

Lorsqu’il se retrouva seul en face du mulâtre :

— Votre silence et vos hésitations, Jérémie, m’ont fait entrevoir cette vérité que vous n’osez pas m’avouer, et vous avez raison. C’est là un de ces mystères qui, pour l’honneur de nos familles, doit demeurer enseveli dans la conscience d’un honnête homme. Le monde eût flétri mademoiselle de Jansseigne séduite par M. de Nozières, la société coloniale l’eût étranglée, séduite… par… vous, par un mulâtre !…

Jérémie courba la tête. Un long silence se fit. Quand l’économe osa regarder le jeune créole, il demeura frappé de l’altération de ses traits.

Cette révélation, dont en Europe on ne saisira que difficilement la subtile profondeur, avait vivement impressionné Firmin. Dans le premier moment, il n’avait pu se défendre d’un véritable sentiment d’horreur. Au point de vue des mœurs et des conditions sociales du Nouveau-Monde, ce n’était plus seulement la honte qui rejaillissait jusqu’à la mère de Madeleine, c’était comme une dégradation et une souillure, qui, aux yeux du jeune créole, retombaient alors sur la famille entière.