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mouvement des eaux et le balancement de la barque, ils s’obstinaient à se croire perdus. Et vous autres, nous dit maître Ting, d’une voix défaillante, vous n’êtes pas malades ; cependant la barque se remue pour vous comme pour les autres. — Oh ! c’est bien différent, lui répondîmes-nous, nous autres, nous ne fumons pas l’opium. — Comment, vous croyez que c’est l’opium qui est la cause que nous allons mourir ? — Qui sait ? nous n’oserions l’affirmer ; ce qu’il y a de certain, c’est que l’opium est un poison, et qu’insensiblement il doit ruiner les forces et l’énergie des fumeurs. — Maître Ting se mit alors à maudire le jour où il s’était laissé aller, pour la première fois, à la tentation de faire usage de cette détestable drogue, et il nous promit bien que, s’il en réchappait, il jetterait à l’eau sa pipe, sa petite lampe et sa provision d’opium. — Pourquoi pas maintenant ? lui dîmes-nous, pourquoi attendre ? — Maintenant, non ; je suis trop malade, je n’ai pas la force de me remuer. — Tiens, nous autres qui nous portons bien, nous allons te rendre ce petit service, et en même temps nous nous dirigeâmes vers une petite cassette où il renfermait ses outils de fumeur. Mais maître Ting y fut avant nous ; subitement réveillé de sa léthargie, il n’avait fait qu’un bond de sa place sur sa chère cassette. Son mouvement fut si leste, et surtout si inattendu, que ses compagnons ne purent s’empêcher de rire, bien qu’ils n’en eussent pas assurément une envie démesurée. Pendant que ce fougueux fumeur veillait accroupi sur son trésor, nous allâmes voir où en était la navigation.

Le fleuve était plus calme et la brise moins violente ; la jonque filait avec une extrême rapidité, quoique les