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n’oserait pas même y faire loger un homme de la dernière classe du peuple. Il était encombré d’ouvriers et de matériaux, à cause des réparations importantes qu’on y faisait. Il y avait, en outre, dans le grand salon, sept à huit cercueils contenant les cadavres de plusieurs fonctionnaires morts dans le district, et qui attendaient que les membres de leurs familles vinssent les prendre pour les inhumer dans leur pays natal.

Le préfet comptait beaucoup sur l’effet moral de cette dernière raison. Pendant qu’il nous parlait d’une voix lugubre et sombre de ces cadavres et de ces cercueils, il nous examinait attentivement pour voir si nous ne pâlissions pas, si nous ne tremblions pas de peur. En vérité, nous avions plutôt envie de rire, car nous étions convaincus qu’il n’y avait pas un mot de vrai dans tout ce qu’il nous débitait. Nous lui dîmes, sur un ton un peu railleur, que le vice-roi du Sse-tchouen ne se doutait pas le moins du monde que le palais communal de Kien-tcheou avait été converti en cimetière ; qu’il serait bon de lui écrire, parce que, s’il lui prenait fantaisie de voyager de ce côté, il ne serait peut-être pas bien aise de loger au milieu de cercueils et de cadavres. Quant à nous, il ne saurait y avoir en cela le plus léger inconvénient ; nous n’avons que médiocrement peur des vivants et pas du tout des morts. Ainsi nous irons au koung-kouan et nous saurons bien nous y arranger. On usa de tous les moyens imaginables afin de nous faire renoncer à ce projet insensé. Pour en finir, nous dîmes au préfet qu’il en serait selon son bon plaisir, à condition qu’il écrirait et signerait un billet constatant que, ayant désiré nous reposer un jour à Kien-tcheou, on s’y était