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parvenu au port que tout le monde s’empressa de monter à bord, et là chacun chercha à s’installer de la manière la plus conforme à ses goûts. Les Chinois, corps et âme, sont d’une nature qui nous a semblé beaucoup tenir de celle du caoutchouc. La souplesse de leur esprit ne peut être comparée qu’à l’élasticité de leur corps. Aussi faut-il voir comme ils savent trouver un bon coin, puis s’y faire un nid, s’y blottir et s’y arrondir comme dans un moule ; la position une fois prise, en voilà pour toute la journée. A peine arrivés à bord, nos nombreux compagnons de voyage se trouvèrent casés. Les porteurs de palanquins, car ils étaient aussi de la navigation, s’étaient arrangés les uns sur les autres dans la cuisine où l’air et le jour n’arrivaient que par une petite lucarne. Cette sorte de gens est accoutumée à respirer sans air et à voir sans lumière. Aussitôt qu’ils furent accroupis, ils se livrèrent avec ardeur au jeu de cartes. Les soldats, nos domestiques et ceux des mandarins avaient formé plusieurs groupes dans l’entre-pont en adoptant des postures impossibles et inimaginables. Ils se régalaient de thé, de fumée de tabac et de causeries bruyantes. Nos deux conducteurs, le civil et le militaire, maître Ting et l’officier Leang, s’étaient réfugiés dans une espèce d’alcôve fermée par des rideaux qui laissaient passer à travers leurs nombreuses déchirures quelques blanches vapeurs et les pâles rayons d’une petite lampe. L’odeur fétide qui s’exhalait de ce sordide réduit indiquait assez que les chefs de l’escorte en étaient à s’enivrer d’opium. Quant à nous, seuls et tranquilles sur le pont de la jonque, nous nous promenions d’un bout à l’autre, humant de tous