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Lui, la trouvait toujours belle, plus belle même qu’autrefois, dans tout le développement de sa beauté capiteuse. Ils causaient sans embarras, tandis que les deux chevaux marchaient de front dans le vieux chemin royal. Valérie rappelait des souvenirs de sa première jeunesse, parlait de son défunt tuteur, l’excellent M. de Brossac, parent du vicomte, et du commandeur de Lussac, ce type du gentilhomme galant du temps passé. Guy raconta sa carrière obscure et triste, sans avenir, et ses dégoûts de la vie militaire prosaïque et sans gloire qu’il menait là-bas, dans les « smalas » de son régiment. À un moment, « Kébir » ayant henni, attira son attention :

— Vous avez là un beau cheval, Mademoiselle.

— N’est-ce pas ? fit-elle simplement en caressant l’encolure du noble animal ; c’était un cheval de prise de ce pauvre Damase.

Il y eut un moment de silence ; puis Guy, embarrassé d’avoir indirectement évoqué ce souvenir, dit un peu plus bas, comme se parlant à lui-même :

— C’était un homme d’honneur et un brave soldat ; aussi a-t-il eu tous les honneurs : blessé, décoré, fait officier, tué à l’ennemi après…

Il s’arrêta, interdit.

— Après ? interrogea-t-elle.

— Après avoir été aimé de vous !

Ils firent encore quelques pas, silencieux, puis Valérie reprit, d’une voix grave :

— Oui ! Et il m’a bien aimée aussi ! Mais cela nous a coûté cher à tous deux… Lui s’est fait tuer comme un homme qui ne fait plus de cas de l’existence et, pour moi, ma vie est brisée… acheva-t-elle avec un accent de sombre mélancolie qui ne lui était pas habituel.