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on attachait les bêtes qui venaient porter le blé à moudre. À l’autre bout, c’était le pressoir pour l’huile ; entre deux, les meules. Au-dessus, il y avait deux chambres où on montait par un escalier de bois. L’une était celle de Gustou, l’autre était à mon oncle, et c’est là qu’il serrait ses affaires et montait de temps en temps quand il avait un moment.

Avant d’entrer au moulin, Gustou me fit voir sur la clef de voûte de la porte ronde une raie qu’il avait faite au ciseau. C’était la marque de l’inondation de l’année d’avant. Les eaux avaient monté jusque-là, dans la nuit du 16 au 17 janvier 1843, et tout le moulin avait été inondé. Ce n’était pas chez nous seulement qu’il y avait eu de grandes crues ; notre nouvelle route de Périgueux à Saint-Yrieix, avait été tout abîmée, et les eaux avaient emporté le pont d’Eymet et celui de Mussidan.

Quand Gustou m’eut bien raconté tout ça, avec force explications sur les dégâts que le moulin avait eus, et toujours avec sa manière lente et tranquille qui me faisait bouillir, je montai vivement l’escalier, et je crois bien qu’il parlait encore tandis que je mettais la clef dans la serrure.

Pour sûr, la recommandation de mon oncle était bien inutile, car rien n’était rangé dans la chambre. Dans un coin était le lit à quenouilles avec des rideaux rouges à grands ramages, où mon oncle couchait quelquefois, s’il y avait du monde à la maison. Mais en ce moment il y avait sur le couvre-pieds des pelotons de fil à faire le filet. Contre le mur, un grand vieux cabinet à colonnes et à quatre portes taillées en pointes de diamant ; à l’opposé, une grande table où étaient éparpillés de vieux livres à tranches rouges ou bariolées. Dans une grande écritoire de faïence à fleurs, étaient plantées des plumes d’oie venant de l’aile de nos bêtes. Dans un coin, le lourd fusil à pierre avec lequel l’aïeul avait fait les campagnes de