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avoir attaché la bourrique à un arbre. La soi-disant sorcière, assise sur un petit banc, sommeillait dans la queyrio, autrement dit le coin du feu, les coudes sur ses genoux, la tête penchée dans ses mains, pliée en deux. La demoiselle tira du bissac et posa sur la table, un pain blanc, une bouteille de vin, un poulet, de la bonne cassonnade, des fromages de chèvre et un verre. La vieille oyant quelque bruit, tourna la tête sans la relever, et ne dit mot. Puis la demoiselle la fit manger, lui sucra du vin et la fit boire, et alors la vieille Jeannillotte se redressa un peu et commença à parler un brin, remerciant de son mieux : que le bon Dieu et la sainte bonne Vierge vous fassent heureuse, demoiselle !

Elle but encore un petit coup, et ça la remit tout à fait, et elle se mit à babiller. Elle parlait de sa jeunesse : c’était du temps du grand-père de M. Silain, qui avait un habit rouge, une perruque blanche, une épée à poignée d’or et un chapeau à trois cornes qu’il mettait souvent sous le bras. Ah ! celui-là ne se détournait pas d’elle comme le M. de Puygolfier d’aujourd’hui. Quand il allait chasser, et qu’il la rencontrait dans les bois, jeune pastourelle gardant ses brebis, il lui prenait le babignou, comme elle disait pour le menton, et des fois l’embrassait. Puis ses souvenirs se brouillant, elle confondait avec les histoires ouïes dans sa jeunesse. Voilà, les Anglais étaient arrivés venant d’Auberoche, et ils avaient tout brûlé à Puygolfier, et le seigneur était parti après les Anglais qui allaient au château des Chabannes qu’ils brûlèrent aussi. Dans toutes ces affaires le seigneur avait été tué… Que le bon Dieu le garde dans son saint paradis ! disait-elle en joignant les mains.

Au sortir de là, nous fûmes au Bois-du-Chat, ramasser des marrons, et comme nous avions emporté de chez la vieille, une braise avec de la cendre dans un vieux sabot, nous allumâmes du feu pour faire