Page:Eugène Le Roy - Le Moulin du Frau.djvu/394

Cette page a été validée par deux contributeurs.

tures publiques dans ces jours-là ; elles sont bondées de gens qui reviennent au pays, et il y en a jusqu’en haut sur les malles. Dans les petits chemins, on trouve des jardinières, des petites charrettes, attelées d’une jument, ou d’une mule, ou même d’une quite bourrique, pleine de gens qui se rendent à la maison d’où ils sont sortis, pour voir leurs vieux et manger avec eux. Et tout ce monde qui se rencontre et se croise, se crie : bon carnaval ! bon carnaval !

Et le soir, quand la porte est close, tandis qu’il fait froid dehors, autour de la table couverte d’une touaille bien blanche, et encombrée de plats et de bouteilles, toute la famille s’asseoit, et la vieille grand’mère tient sur ses genoux le dernier né de ses petits-enfants. Tout le monde oublie, ce jour-là, ses soucis, ses misères, et se rappelle les choses d’autrefois, le temps où on ne s’inquiétait de rien, comme font maintenant les enfants qui ne pensent qu’à se bourrer, surtout ceux qui ne mangent de viande que ce jour de l’année, les pauvres. C’est qu’on a fait de la dépense pour ce jour-là : le père est allé la veille acheter de la chair ; du bœuf, de la velle, du porc, et il en a porté un plein bissac. La mère, de son côté, a tué des poulets, quelque canard, ou un piot si on est aisé, et on fête toutes ces victuailles en buvant de bons coups et en se réjouissant de manger ensemble de si bonnes choses. Mais ce n’est pas tout : pour la desserte, elle a pétri de ses mains, de ces bonnes grosses pâtisseries campagnardes, où il y a, sous un grillage de bandes de pâte, des pommes, des prunes ; qu’on coupe en coin et qu’on mange en trinquant joyeusement.

Et puis quand on a soupé, il y a quelques bouteilles de riquiqui, d’eau-de-noix, de goutte, et on trinque encore. C’est alors que les enfants vont se masquer et se déguiser, et s’amusent entre eux, et viennent se faire voir avec la figure toute charbonnée ou un mou-