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être sa femme à la ville, et qu’il pourrait regretter de l’avoir prise.

Mais il me répondit très bien, que s’il était quasiment pauvre à Paris, il était riche assez au pays, et que cela étant, il ne regardait point à la fortune ; que de reprendre son état d’avocat, il était sûr et certain qu’il l’avait pour toujours délaissé, la vie de propriétaire allant mieux à ses goûts et à son caractère ; que quant à se marier avec une demoiselle qui aurait trente ou quarante mille francs, il ne le ferait jamais, attendu que les filles de cette fortune sont élevées de telle façon, qu’elles ne veulent habiter qu’à la ville et qu’elles ont des goûts de luxe qui leur font dépenser bien au delà des revenus de leur dot, sans parler d’autres raisons ; que Nancette d’ailleurs savait tout ce qu’il est utile qu’une femme sache, et qu’elle avait avec ça de la raison, du bon sens, et était loin d’être sotte ; que lui, au surplus, la trouvait très bien comme cela, et se chargeait d’en faire une femme pas ordinaire, et de la rendre heureuse.

Pour lors, je lui dis que si son idée était comme ça bien arrêtée, je n’avais rien à dire, et qu’au contraire, il était pour ma fille un parti comme nous n’aurions jamais osé l’espérer, du côté de la fortune et du côté de la personne.

Après ça, nous sortîmes du café, et lui ayant donné une poignée de main, je revins au Frau. Le soir, je dis tout à ma femme, qui fut bien contente, et me dit de suite qu’elle avait bonne opinion de Fournier, à cause des motifs qui lui avaient fait quitter son état. Mon oncle qui était là aussi, pour lors, appela la petite, qui fut tout étonnée de nous voir tous trois seuls dans la grande chambre.

— Hé bien, ma drole, lui dit-il, il paraît que tu penses à quelqu’un ?

La pauvrette devint toute rouge et ne répondit pas. Mais lorsque je lui eus dit que quelqu’un l’avait de-