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Heureusement, Jeantain était un homme avec qui on ne s’ennuyait pas, et qui tournait tout en risée. Sur la minuit, il fit cuire des pommes de terre dans l’huile bouillante, et il faut convenir que c’était bon : elles avaient un goût de noisette. Avec les boudins et les côtelettes, nous fîmes le réveillon en buvant de bons coups de notre vin du Frau.

Et tout en réveillonnant, Jeantain nous conta des histoires et nous fit rire tous. Comme il était toujours dehors de chez lui et qu’il connaissait tout le monde, il savait tout ce qui se passait dans le pays : les marchés faits, ceux en train, les mariages et toutes les affaires des galants, car il était bien un peu mauvaise langue. Mais ce qu’il en disait, c’était histoire de faire rire et de bavarder, et non pour porter tort à personne.

Cet animal-là nous fit crever de rire avec ses Vêpres sauvages, sorte d’enfilade de calembredaines en patois qui se chantaient sur l’air d’In exitu Israël. Il était si plaisant en les chantant du nez pour contrefaire Jeandillou notre marguillier, que les trouilleurs s’en esclaffaient et ne pouvaient faire leurs pressées.

Je ne suivrai pas année par année, ce qui se passait chez nous, parce qu’il me faudrait trop souvent répéter la même chose. Il me faut pourtant parler un peu des métayers qui étaient à la Borderie. C’était de braves gens qui travaillaient dur, et étaient à leur aise pour des métayers, c’est-à-dire qu’ils avaient quelques petites avances, et n’étaient pas toujours à tirer le diable par la queue, comme on dit de ceux qui sont dans la gêne. On sait que c’est la coutume dans nos pays de faire la Gerbe-baude, ou fête de la moisson, chez les métayers et les bordiers ; mais du temps de Jardon, qui était avare comme un chien, nous n’y avions jamais bu seulement un verre de piquette. Nous allions partager quand il fallait, le