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disent ce qu’ils pensent et ne sont pas flaugnards. On dirait qu’ils se souviennent que leur ville était libre anciennement.

Dans cet endroit, ils ont des coutumes originales. Ainsi, ils aiment le lard rance, et pour être sûrs de n’en pas manquer, ils en ont dans les maisons pour un an d’avance, grandement. Je pense que cet usage date du temps où la ville, lors frontière de France contre les Anglais, était souvent assiégée et où il fallait se munir de provisions en conséquence.

Une chose bien curieuse, c’est l’antique farce qui se fait le Mercredi des Cendres. Ce jour-là, au rappel des cornes qui brâment comme des taureaux en folie, tous ceux qui se sont mariés dans l’année carnavalesque finie un an auparavant, à pareil jour, se rassemblent, déguisés et masqués, sur la vieille place de la Rode. Le dernier marié de ceux là porte une fourche à foin ainsi accoutrée : Dans les deux dents sont plantées deux cornes de bœuf, les plus grandes qu’on a pu trouver. Des branches de lierre et de laurier attachées avec des rubans jaunes, masquent la naissance des dents de la fourche et enguirlandent le manche. On dirait, par ma foi un trophée, ou quelque simulacre antique, dédié au grand Pan, seigneur des troupeaux, ou à quelque autre divinité rustique.

Quand tout le monde est assemblé, la troupe de masques, vielle et chabrette en tête, se rend en procession, chez le premier marié de l’année carnavalesque qui finit ce jour. Devant la porte on se range en demi-cercle ; la musique donne l’aubade, puis se tait. Alors, le plus ancien marié de la troupe s’avance, et comme un héraut sommant une place, appelle trois fois l’homme par son saffre ou surnom : Cadenet ! Cadenet ! Cadenet ! ou Pichil ! ou Mourel ! n’importe. Lui, ne renâcle pas, il sait que tout le monde y passe et qu’on le monterait quérir plutôt. Il arrive donc, et