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dans les ménages, en nouant l’aiguillette aux hommes, comme on disait autrefois, ce qui est, à ce qu’il paraît, un moyen sûr pour ça.

En entrant, le sorcier, afin d’éloigner le Diable, prit un peu de sel dans la salière accrochée à la cheminée, et le jeta dans le feu, où il pétilla ; puis il s’approcha du lit, et le vieux Jardon tourna ses yeux vers lui, comme celui qui en attendait le salut. Lui, releva la couverte, et mit à nu la poitrine du malade, maigre, hâlée, couleur de vieux cuir et couverte de poils gris hérissés. Alors il se pencha, écouta, se releva, leva les bras en l’air comme pour implorer quelqu’un et récita une sorcellerie qui commençait ainsi : Din lou vargier dé Josaphat uno dâmo sé troubet, saint Jean la rencountret… C’est-à-dire : Dans le jardin de Josaphat une dame se trouva, saint Jean la rencontra… Puis il se baissa de nouveau, souffla par trois fois sur l’endroit où était le mal, y fit avec le pouce, des signes mystérieux, en marmonnant tout bas des paroles qu’on n’entendait pas. Après ça il tira de sa poche son petit sac de cuir le déposa sur le creux de la poitrine de Jardon, lui remit la couverture dessus, et resta là sans bouger, remuant seulement les babines sans qu’on entendît aucun son.

Au bout d’un moment, il releva la couverte, écouta de nouveau, puis remit le sac de cuir dans sa poche, et recouvrit Jardon. Puis il alla à l’évier, demanda un bassin, des plats de terre, les remplit d’eau, et les plaça aux quatre coins de la chambre afin que l’âme du vieux Jardon s’y lavât avant de monter au ciel. Cette cérémonie dernière prouvait qu’il n’avait aucun espoir. Cela fait, il revint vers le lit, fit au-dessus de la tête du mourant, quelques conjurations pour adoucir son agonie. Malgré ses gestes et ses paroles, Jardon commença à râler fortement ; sa poitrine allait comme un soufflet de forge et soulevait les cou-