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des affaires arrangées à la mode de partout ; ça n’est ni salé ni poivré, et puis point d’ail ; ça avait du goût comme un morceau de bouchon. Ils disent qu’il faut une cuisine comme ça, pour les voyageurs et les étrangers. Le fait est que, comme ça ne sent rien, avec un peu d’idée, chacun peut se figurer manger de la cuisine de son pays. Mais tout de même, il devrait bien y avoir à Périgueux un endroit où on puisse manger à notre mode.

Et par-dessus le marché, on n’est plus servi par des filles accortes et avenantes, mais par des garçons avec des favoris, et la raie au milieu de la tête, qui semblent des juges d’instruction : ça finit de vous couper la faim.

Ah ! ce n’est plus notre bonne cuisine bourgeoise d’autrefois, où on vous faisait manger de bons morceaux, bien choisis, bien soignés, bien arrangés à la périgordine. Cette cuisine s’est perdue avec les vieilles coutumes, depuis les chemins de fer. Et le vin ! on ne boit plus maintenant que de la saleté de vins coupés, baptisés, remontés avec du trois-six, foncés avec du sureau, ou pis, avec quelque poison : c’est plat, ça n’a ni goût, ni bouquet, ni diable, ni rien. Autrefois, quand on voulait bien arroser une bonne daube, ou un gigot piqué d’ail, ou un fin chapon, ou un lièvre en royale, on demandait du bon vin de Brantôme, ou de Sorges, ou de Bergerac, ou de Domme, ou d’ailleurs, car le bon vin ne manquait pas chez nous, et c’était un vrai plaisir de boire ces bons vins en mangeant de bonnes choses, entre bons amis. Il paraît que maintenant, les gens se moquent de ça, et qu’il leur est égal de manger cette cuisine au gaz, ces rôtis au four de fonte, et de boire ces vins fraudés. Tout marche à la vapeur, et on n’a pas le temps de faire attention à ça. Les gens mangent, vite, vite, comme qui jette le charbon à pelletées pour chauffer la machine : aussi quels estomacs ont