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fiers appelaient les républicains qui ne craignaient pas de parler tout haut, comme c’était leur droit de citoyens. Ah ! et puis il y avait une autre bêtise, sa barbe aussi, je l’ai déjà dit, qui le faisait passer pour un homme capable de tout. Je ne sais qui leur avait cogné ça dans la tête. Maintenant, ils ne sont pas si bêtes ; moi j’ai une barbe plus longue que celle de mon oncle et personne n’y fait attention.

Cette année-là, nous avions un cochon qui était si bonne bête, joint à ce qu’il était bien soigné par la Suzette, qu’au mois de novembre il était fin gras, et que quinze jours après la Toussaint, il ne pouvait plus se lever de dessus sa paillade ; il fallut donc faire venir Jeantain de chez Puyadou pour le tuer. Jamais nous n’en avions eu un qui eût d’aussi beau lard. Le lendemain, on fit toutes les affaires, des boudins, des andouilles, des saucisses, du confit et des grillons. Jeantain était resté pour couper la viande, et le soir il nous fit faire la soupe à l’eau de boudin. Il disait que c’était bon, mais moi je trouvais que ça sentait trop le graillon. Dans le temps qu’il resta chez nous, il nous raconta que le mercredi d’avant, étant à Périgueux, il avait ouï dire qu’il se préparait quelque chose ; quoi, on ne savait au juste, mais à des ordres donnés, à des consignes nouvelles, à des changements d’employés du gouvernement, on soupçonnait qu’il se mitonnait quelque coup. Et puis les gens en place, ceux qui étaient connus pour haïr la République, et c’était les plus nombreux, presque tous, quoique ne sachant rien de sûr et certain, sentant venir la chose, étaient insolents plus que jamais. On ne les entendait parler que de supprimer les journaux rouges, et d’envoyer les journalistes et tous ceux qui égaraient le peuple crever par delà les mers.

Il n’y a pas de fumée sans feu, comme on dit. Dans les premiers jours du mois de décembre, nous apprîmes ce qui se passait à Paris. Des départements,