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Ça n’arriva pas de cette façon, mais ça arriva tout de même. Une huitaine de jours avant la Noël de l’année 1850, nous étions à la maison, finissant le mérenda, quand la nouvelle métayère de Puygolfier arriva en courant, nous priant d’y monter de suite, que M. Silain avait eu une attaque et qu’il n’en pouvait plus. Je m’y encourus avec mon oncle en coupant au plus court à travers les terres. En entrant dans le salon à manger, nous vîmes bien que c’était fini. M. Silain était sur son fauteuil, les jambes étendues, les bras ballants, ne bougeant plus. Le nez lui saignait, et sa pauvre fille l’essuyait avec un linge, en se lamentant, tandis que la grande Mïette tenait la tête qui roulait sur le dossier du fauteuil. Sur la table, les plats, les assiettes, tout était encore là. Mon oncle toucha la main ; elle se refroidissait déjà.

La grande Mïette fut chercher un miroir, et le mit devant la figure, tout contre la bouche de M. Silain, mais il ne se fit pas la moindre buée :

— Allons, pauvre demoiselle, dit mon oncle, il est mort, il n’y a plus rien à faire.

La pauvre se remit à pleurer et à se désoler, disant que c’était impossible ; qu’il y avait trois quarts d’heure, il était là, finissant de déjeuner, de grande faim, car il était rentré tard de la chasse, et qu’il ne pouvait pas être mort comme ça ; et ses sanglots éclataient.

Enfin, elle finit par entendre raison. Nous lui dîmes alors qu’il fallait le monter dans sa chambre ; mais ce n’était pas peu de chose. La grande Mïette alla chercher une couverture, et appela le métayer de la cour, car le drolar qui avait soin de la jument et des chiens n’était pas fort assez pour nous aider. Une fois dans la couverture et tenant chacun un coin, la Mïette qui était forte comme un cheval, le métayer, mon oncle et moi, nous le montâmes à travers le corridor ; mais ce n’était pas aisé, surtout en montant l’escalier en vis