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Mon oncle avait raison, et je le vis bien quelque temps après. Le surlendemain de la Toussaint, j’étais au moulin, à faire moudre, quand tout d’un coup, notre chienne Finette se mit à japper comme une enragée. Je sortis sur la porte, et je te vis venir un individu à cheval. Quand il fut à cent pas, je le reconnus ; c’était ma foi l’huissier Laguyonias, sur sa jument grise, avec sa figure en lame de couteau, ses petits favoris jaunes, et son air chattemite. Il était habillé moitié en monsieur, moitié en paysan, ayant de gros souliers ferrés avec un éperon rouillé au pied gauche, une culotte de grosse étoffe bourrue couleur de la bête, une vieille lévite verte et un grand chapeau haut de forme à grands bords, recouvert d’une coiffe en toile cirée. Il avait à la main une de ces espèces de grosses cravaches de cuir roulé en torsade, communes autrefois, dont le manche était plombé.

Je n’aimais pas cet individu, ni personne d’ailleurs, car c’était un de ces huissiers comme on n’en voit plus, Dieu merci, ferrés sur la chicane, retors, madrés, coquins, poussant aux procès, les faisant naître, les entretenant, faisant foisonner les actes, et ruinant les malheureux en frais. Celui-ci avait déjà fait vendre beaucoup de biens de pauvres diables qui avaient eu le malheur de l’écouter et de suivre ses mauvais conseils. Mais ce n’était pas seulement ceux qui connaissaient sa manière de faire, qui ne l’aimaient pas ; les petits droles même en avaient peur, tant il avait une méchante figure ; et quand il passait dans un village, les gens le regardaient d’un mauvais œil, disant entre eux :

— Voilà encore cette canaille de Laguyonias, qui va faire de la peine à quelqu’un.

Moi, le voyant, je me disais en rentrant au moulin : Que diable vient faire ici cette sale bête ?

Je le sus bientôt. Il arriva, attacha sa jument à un anneau et entra :