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cherai une place : jeudi qui vient, j’irai avec vous à Excideuil, pour voir.

Je trouvai que Marion avait raison, et je le dis à mon oncle qui fut de mon avis. Nous prîmes une fille de Saint-Sulpice appelée Suzette, qui marchait sur ses dix-sept ans, et quant à Marion, elle se plaça chez le curé de Saint-Paul-Laroche, dont la servante venait de mourir.

L’hiver se passa tranquillement au Frau. Les eaux débordèrent, mais ne firent pas trop de dégât, et nous avons eu plus de mal d’autres fois. Le soir après souper, nous étions autour du feu réunis, mon oncle fumant sa pipe dans la queyrio, ma femme faisant son bas, Suzette filant sa quenouille, Gustou pelant les châtaignes en racontant ses histoires, moi lui aidant à peler. Je me pensais lors que nous étions bien heureux ; mais tout de même, il y avait des choses qui nous tracassaient mon oncle et moi, c’était de voir comme les affaires du pays allaient mal.

Quelquefois, je lisais la Ruche, et mon oncle m’écoutait tout triste, se demandant comment tout ça finirait. En ce temps-là, on commençait à faire arracher les arbres de la Liberté à Paris, soi-disant parce qu’ils gênaient, et les soldats marchaient contre les citoyens qui se rassemblaient pour les défendre. Chez nous, les nobles, les curés, les bourgeois, disaient tout haut que la République n’en avait pas pour six mois. Le curé Pinot ne se gênait pas pour prêcher, le dimanche, que le seul remède aux maux de la France, c’était de la jeter à bas. Et lui, méchant petit curé de campagne qui aurait dû être respectueux pour un supérieur, il blâmait hautement l’archevêque de Paris qui, dans un mandement, avait dit que l’Église respectait tous les gouvernements qu’elle trouvait établis, même ceux sortis d’une révolution, pourvu qu’ils fissent leur devoir. Ça n’allait pas au curé, ça, et il traitait ce brave archevêque, comme