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je me disais que tout ça s’arrangerait pour le mieux. Et puis, quand on est jeune et qu’on va se marier, on a d’autres choses en tête. Mais c’est un tort, j’en conviens ; il ne faut jamais se désintéresser des affaires publiques, pour n’importe quelle cause, car chacun de son côté ayant l’un, une raison, l’autre, une autre, et beaucoup se moquant de tout, il advient que les intrigants et les ambitieux s’emparent des affaires, ce dont nous pâtissons tous après. Si Lajarthe avait vécu jusqu’en 1870, il aurait eu beau jeu de reprocher à tous leur sottise d’autrefois ; mais il mourut, le pauvre, deux ans auparavant, et non sans nous dire souvent : vous verrez que tout ça finira mal.

Mais personne ne le croyait, excepté nous autres. Mon oncle qui pensait comme lui, prêchait bien les gens tant qu’il pouvait, mais sans réussite. Ils étaient quelques-uns comme ça dans le canton, bons citoyens, solides républicains, bien estimés du peuple, mais ils ne pouvaient rien contre le nom de Napoléon.

— Quand je pense, disait mon oncle, que, manque une douzaine, j’ai toutes les voix pour le Conseil municipal ; que j’ai fait tout ce que j’ai pu pour empêcher de voter pour Bonaparte, et que, malgré ça, il n’y a eu dans toute la commune que deux voix contre lui, celle de Lajarthe et la mienne, car je n’ai même pas pu faire voter cet animal de Gustou ; je suis bien forcé de voir qu’il n’y a rien à faire pour le moment. Pourvu que ça ne soit pas un chambardement comme en 1815 qui ouvre les yeux à tous les aveugles, encore ça ira bien.

Tandis que Lajarthe finissait son travail, il nous fallut écouler le vin, et ma foi, il était bon. Les gens qui venaient faire moudre, attachaient leur bourrique à l’entrée du moulin, et montaient à la maison pour le goûter, s’ils étaient bien familiers chez nous ; et des fois, on leur criait du cuvier :