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croire que Lamartine était la bonne amie du Dru-Rollin ! Et il y en a qui n’en démordent pas, le vieux Francillou de la Toinette, entre autres.

Mais tandis qu’après souper, mon oncle et Lajarthe parlaient à demi-voix dans un coin du foyer ; après les histoires de Gustou, les énoiseurs chantèrent des chansons, chacun la sienne, et l’on fit des jeux pour rire. On attachait une pomme par un fil à une poutre d’en haut, et après avoir bien tordu le fil, on le lâchait et la pomme se mettait à tourner comme une pirouette, pendue au fil. Le jeu était d’attraper la pomme avec les dents, sans y toucher du tout avec les mains, et ce n’était pas facile. C’était aussi le moment de faire passer le cacalou aux filles : j’en avais trouvé un bien formé comme une noix ordinaire, mais pas plus gros qu’une petite noisette. Je le donnai à Nancy et je l’embrassai sur les deux joues, ce qui la fit devenir toute rouge.

Vers deux heures, tout le monde s’en alla en gaîté, sans plus penser aux histoires de Gustou, d’autant plus que les filles étaient accompagnées des garçons qui leur parlaient d’autre chose.

Cet hiver de 1848 à 49 fut assez dur, par chez nous ; ça n’était plus l’année du grand hiver, il s’en fallait, mais avec ça, il y eut de la neige assez, et les loups sortant des bois, vinrent rôder la nuit sur les chemins, autour des maisons, et gratter à la porte des étables. Un soir que je revenais d’Excideuil, vers les dix heures, après avoir passé la Maison-Rouge, tandis que je suivais le long d’un bois, j’ouïs, un peu en arrière, un bruit dans le fourré. Je me retourne et je te m’en vais voir un loup qui avait sauté dans le chemin, et se planta en même temps que moi. Il était à une vingtaine de pas : ah ! pensai-je, coyon que j’ai été de ne pas prendre le fusil ! Je me remis à marcher et le loup me suivit ; lorsque je me retournais, je voyais ses yeux luire dans la nuit ; quand je m’arrêtais