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vaut mieux pour le froment. Je fus vite au courant de tout, et de la manière de faire le travail, et du nom des pratiques.

Dans le commencement, quoique je fusse plus grand et plus fort que Gustou, il chargeait plus facilement que moi un sac de blé. Mais lorsqu’il m’eut montré le petit coup d’épaule et le tour de reins j’enlevais un sac comme rien.

Ils me montrèrent aussi les mesures qu’on prenait pour la mouture, et là-dessus il me faut dire que nous ne prenions que juste ce qui était dû. Je suis sûr que l’on ne me croira pas ; les meuniers ont mauvaise réputation, comme les tisserands et les tailleurs. Il y a même un dicton patois là-dessus, que voici en français : Sept tisserands, sept meuniers et sept tailleurs, font vingt et un voleurs. Mais il n’était pas vrai pour nous pas plus que pour bien d’autres. Gustou, qui était dans les anciennes coutumes, l’aurait fait peut-être, s’il avait été le maître, mais mon oncle ne le voulait pas.

Comme nous avions du bien à notre main, en plus de ce que travaillait le bordier, je me mis aussi à tous ces travaux de la terre que je trouvai bien un peu durs dans le commencement, pour ne les avoir accoutumés, mais ce fut l’affaire de quelque temps. Où je mis le plus longtemps, c’est pour apprendre à labourer, parce que outre la conduite de la charrue, il faut savoir parler aux bœufs, et s’en faire écouter.

Quelquefois, tenant le manche de mon araire, et piquant mes bœufs traçant le sillon, je pensais à ce changement total qui s’était fait dans ma vie. Je me rappelais ces journées passées dans le bureau empuanti de la Préfecture, assis sur une chaise à gratter du papier. C’était long ces journées, et j’en avais les fourmis dans les jambes, sans compter qu’il fallait être aux ordres de trois ou quatre chefs, recevoir des reproches, point mérités quelquefois, n’être