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charité, et la charité ne remet pas les choses en leur place.

Je revins par le côté du nord, passant sous les allées de noyers pleines d’orties et de choux-d’âne, où on faisait aux quilles le dimanche, et remontant par le foirail des porcs, je redescendis sur la place, pour aller voir le régent. Devant la maison, je revis avec plaisir le vieux ormeau près de trois fois centenaire planté du temps de Sully. J’ai ouï-dire à des gens qui en savaient plus que moi, que ce ministre avait ordonné qu’on en plantât un dans toutes les paroisses, au devant de l’église, ou sur une place, pour servir de point de réunion aux gens de l’endroit.

C’est sur cet arbre, que les meneurs d’ours faisaient grimper leurs bêtes, à la grande joie des enfants ; et, la nuit, les poules des maisons de la place juchaient sur ses hautes branches.

Il était toujours là avec son tronc noueux, plein de verrues, et ses grands mars, gros comme des arbres ordinaires. Les orages lui avaient bien cassé quelques branches, mais il était encore solide et vigoureux. Le pauvre arbre ne faisait de mal à personne, au contraire, il rendait des services, et ornait un peu la place ; et puis il était si vieux qu’on aurait dû le respecter ; mais quelques années après on l’a jeté à terre.

J’entrai chez M. Lamothe ; il était à faire sa classe à ce que me dit sa sœur, Mlle Clélie. Ce nom m’avait toujours frappé ; il me semblait que c’était un nom de roman du temps jadis, apporté dans le pays par quelque grande dame, et qui s’y était perpétué. Il avait l’air vieux, démodé, comme ces anciennes tapisseries de verdure toutes fanées, dont on voyait des morceaux à Puygolfier. La personne qui le portait était bien faite pour lui ; habillée à l’antique mode d’avant la Révolution avec un fichu croisé sur sa poitrine, s’attachant par derrière, et une coiffe à bar-