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fiers et charitables. Chez nous, répondait-il, il y en a quelques-uns de bons, pas beaucoup, mais il y en a. Et d’une manière c’est tant pis, parce qu’ils font supporter tous les autres qui ne valent rien.

D’ailleurs, ce n’est pas de la charité qu’il nous faut, c’est de la justice !

Il nous disait encore, le petit pique-prune, comme on appelle les tailleurs par chez nous, que la terre devait appartenir à ceux qui la travaillaient, et les outils aux ouvriers.

— Il ne doit plus y avoir de maîtres pour les travailleurs de terre, ni de patrons pour les ouvriers.

— Alors, disait Gustou étonné, il n’y aurait plus de métayers ?

— Non certes. Tiens, vois les Geoffre, qui sont métayers de Puygolfier de père en fils dès longtemps avant la Révolution. Crois-tu que ce n’est pas eux qui ont fait la métairie ce qu’elle est ? Sans leur travail, que serait-elle ? Rien. Que donnerait-elle ? Rien. Depuis quatre-vingt-dix ans qu’ils sont là, est-ce qu’ils n’ont pas plus de droits sur cette terre que depuis près d’un siècle ils tournent, retournent et bonifient, sur laquelle trois ou quatre générations ont sué et peiné, que les messieurs de Puygolfier ? Tu me diras peut-être : comment feront les gens qui ont beaucoup de terres ? Et je te répondrai à ça, qu’une famille ne doit pas avoir plus de terre qu’elle n’en peut travailler.

Non, il ne doit plus y avoir de métayers, ni de domestiques si ce n’est comme apprentissage. Une fille irait servante pour apprendre la tenue d’un ménage ; puis après, ayant épargné ses gages, elle se marierait. De même pour un domestique. Ainsi toi, Gustou, une fois que tu as bien connu ton métier de meunier, tu aurais dû t’établir si les affaires marchaient comme il faut.

— J’aurais pu le faire, répliqua Gustou ; il y a