Page:Eugène Le Roy - Jacquou le Croquant.djvu/59

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Nous n’étions pas au bout de nos peines. Le lendemain, le maître valet du château vint dire à ma mère qu’à cette heure elle ne pouvait plus faire marcher la métairie toute seule, et, que par ainsi il fallait nous en aller tout de suite, pour laisser la maison à celui qui nous remplaçait, à cause du travail en retard depuis deux mois tantôt.

Quoi faire ? où aller ? nous ne savions. En cherchant bien dans sa tête, ma mère vint à penser à un homme de Saint-Geyrac qui avait dans la forêt une tuilière, ou tuilerie, abandonnée depuis longtemps, où peut-être nous pourrions nous mettre, s’il le voulait. Le lendemain matin, de bonne heure, ma mère fit tomber du foin du fenil, en donna aux bœufs, et en laissa un tas pour le leur mettre dans la crèche à midi. Puis, ayant jeté un peu de regain aux brebis, elle rentra à la maison, me coupa un morceau de pain pour ma journée, et m’ayant embrassé, s’en alla vers l’homme de la tuilière en me recommandant bien de ne pas m’écarter.

Il n’y avait pas de danger à ça : où aurais-je été ?

Bientôt je sortis de la maison et je m’assis, sur une pierre devant la porte. Je restai là de longues heures, pensant à mon pauvre père, maintenant fermé dans une prison, et, de temps en temps, le pleurer me prenait. Quelle triste journée je passai là, ayant en face de moi les coteaux pelés des Grillières, où pas un arbre