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Vergt, ou dans celle du Masnègre, entre Valojoux et Tamniers : même jusqu’à la Bessède, près de Belvès, et dans la forêt de Born, j’ai entrepris de faire du charbon, principalement pour les forges. Ainsi, par force, nous avions pris, ma femme et moi, l’habitude d’être quelquefois séparés ; mais ça n’empêchait pas que nous nous aimions tout autant comme auparavant. Si j’osais, je dirais même que ces petites absences retrempent l’affection, qui languit lorsqu’on ne se quitte jamais.

Notre position n’était guère changée depuis notre entrée en ménage. Dès longtemps déjà, le neveu de Jean avait vendu sa maison des Maurezies et son morceau de bien, et s’en était allé du côté de Salignac, en sorte que j’étais seul de charbonnier dans le pays. J’avais pris un garçon, le travail le requérant, mais ça ne veut pas dire pour ça que nous fussions riches, car il fallait du pain, et beaucoup, pour tous ces droles qui avaient grand appétit, et puis des habillements. Encore que jusqu’à l’âge de vingt ans ils aient marché tête et pieds nus, sauf que l’hiver ils mettaient des sabots, il leur fallait bien aussi en tous temps des culottes et une chemise, et lorsqu’il faisait froid, une veste. C’est vrai que, à mesure qu’ils grandissaient, la vêture passait à celui qui venait après, comme âge, de sorte que, en arrivant au dernier, ce n’étaient plus que des loques rapiécées de partout, mais propres tout de même. Ce qui donnait le plus de mal à