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qui fut mon premier et mon plus doux amour ; mais si son souvenir m’était toujours cher, il n’était plus aussi constamment douloureux.

Depuis l’incendie du château de l’Herm, j’avais grandi beaucoup dans la considération des paysans des environs. Aux marchés de Thenon, aux foires de Rouffignac, partout, je trouvais assez de gens pour me convier à boire une chopine si j’avais voulu. Mais je n’acceptais pas souvent, ce qui peut-être m’a fait quelquefois passer pour fier, en quoi on s’est bien trompé. Je n’avais d’ailleurs aucun sujet de l’être, étant sans doute des moindres de ceux de par là. Mais j’avais d’autres idées, d’autres goûts, et, grâce au curé Bonal, je voyais mieux et plus loin que les pauvres gens qui m’avoisinaient. Lorsque j’acceptais de choquer de verre avec eux, c’est qu’il y avait quelque service à leur rendre. Comme j’étais dans ces cantons le seul paysan sachant lire et écrire, au lieu d’aller trouver le régent de Thenon, ou quelque praticien, ils avaient recours à moi pour faire une lettre au fils parti pour le service, ou dresser un compte de journées, ou régler les affaires d’un métayer à sa sortie. Et quand je passais par les villages, partout on m’invitait à entrer boire un coup. Même il y avait des filles ayant bien de quoi qui me donnaient assez à connaître qu’elles m’auraient voulu pour galant. Il y en avait de celles-là qui étaient de belles droles, fraîches, gentes même, mais ça n’était plus ma pauvre Lina.