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obligé de faire attention à qui l’on parle, pour ne pas avoir de traîtres avec soi ; mais ici, point de danger, le comte n’avait que des ennemis dans le pays, ses métayers plus que les autres, peut-être, comme plus exposés à ses méchancetés : aussi ne restaient-ils jamais plus d’une année chez lui.

Pendant trois mois, je suivis comme ça tout le pays pour voir les gens. Enfin, à force de les prêcher, de les encourager, je finis par les tirer tous à ma cordelle. Lorsque je les vis bien décidés, je leur assignai un rendez-vous pour une nuit marquée, dans une friche au nord des Maurezies.

Dès les onze heures, j’étais là avec Jean et un de nos voisins. Je comptais qu’il viendrait une quarantaine d’hommes ou cinquante, mais je fus bien étonné lorsque je vis arriver avec les hommes des femmes en assez bon nombre.

L’endroit était un petit plateau entouré de bois et loin de tout chemin. Dans le sol pierreux, sablonneux, poussaient quelques touffes de thlaspi, des immortelles sauvages, et çà et là quelques genévriers d’un vert grisâtre. En un endroit, sur la sombre bordure des taillis, un bouleau au tronc argenté, semé là par le vent, semblait un revenant dans son linceul. Au milieu était un amas de pierres géantes appelé : Peyre-Male, ou encore la Cabane du Loup, débris d’un autel druidique abattu, selon le défunt Bonal, au temps de Tibère, qui faisait détruire les monu-