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foulé, tyrannisé et trop souvent massacré par ses impitoyables maîtres. Comparant mon sort avec celui de nos ancêtres, pauvres pieds-terreux, misérables casse-mottes, soulevés par la faim et le désespoir, je le trouvais quasi semblable. Était-il possible, plus de trente ans après la Révolution, de subir d’odieuses vexations comme celles de ce comte de Nansac qui renouvelait les méfaits des plus mauvais hobereaux d’autrefois ! Ma haine contre ce prétendu noble me flambait dans le cœur, et je me disais que celui qui en débarrasserait le pays ferait une bonne action. L’esprit de révolte, qui avait causé la mort de l’ancien Ferral le Croquant, qui avait mené mon grand-père jusqu’au pied de la potence et fait mourir mon père aux galères, longtemps apaisé par les exhortations du défunt curé Bonal et les bontés de la sainte demoiselle Hermine, bouillonnait dans mes veines. J’en méprisais les conseils de la prudence, de cette prudence avisée du barde dégénéré qui fit ce refrain conservé par tradition dans la partie du Périgord qui confine au Quercy :


Prends garde, fier Pétrocorieu,
Réfléchis avant de prendre les armes,
  Car si tu es battu,
César te fera couper les mains !


Ah ! si je n’avais pas eu Lina derrière moi, comme j’aurais risqué non seulement mes mains, mais ma tête, pour me venger du comte !