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Lorsqu’elle s’assoupissait un peu, j’allais sur la porte et j’épiais si quelqu’un passait par là. Mais dans cet endroit sauvage, où personne n’avait affaire, qui n’était sur aucun chemin, on ne voyait guère jamais personne, sinon, de loin en loin, un pauvre diable longeant l’orée des bois, sa serpe sous son sans-culotte, ou autrement dit sa veste, et s’en allant faire son faix dans les taillis. Et, personne ne se montrant, je rentrais bien ennuyé, et lorsque ma mère se réveillait, j’essayais de lui faire comprendre qu’il lui fallait avoir la patience de rester deux heures seule, tandis que j’irais chercher quelqu’un ; mais à tout ce que je pouvais lui dire, elle ne savait que répondre toujours :

— Ne me quitte pas, mon Jacquou !

Ou bien, n’ayant pas la force de parler, elle secouait la tête pour dire non.

La nuit d’après, elle se mit à délirer, parlant de guillotine, de galères, appelant son pauvre homme, mort là-bas, sur une planche nue, les fers aux pieds. Tous nos malheurs lui revenaient dans la tête, et l’affolissaient. Elle criait après le comte de Nansac, et reniait la vierge Marie qui n’avait pas sauvé son homme. Dans sa fièvre, elle battait des bras sur le couvre-pieds pour chasser le bourreau qu’elle disait voir au fond du lit, ou cherchait à se lever pour aller rejoindre son Martissou qui l’attendait. J’avais grand peine à la calmer un peu ; il me fallait monter sur le lit, la prendre par le cou et lui