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qui devait être un poste pour la chasse aux chiens courants.

Le lendemain matin, de bonne heure, je m’en fus voir mes setons : rien. Le surlendemain, rien encore. Le troisième jour, je trouvai qu’il m’en manquait un, enlevé sans doute par quelque garde ; aux autres, rien encore. Je compris lors que je n’étais pas bien fin braconnier, mais je ne me décourageai point pour ça ; en quoi j’eus raison, car le quatrième jour, approchant de mon dernier seton, je vis quelque chose de gris dans la coulée et je me mis à courir : c’était un beau lièvre étendu mort, le poil encore humide de la rosée de la nuit ; je le ramassai et m’engalopai chez nous. Lorsque le soir ma mère vint, je lui montrai le lièvre en lui disant que c’était pour M. Fongrave que je l’avais attrapé. Elle me dit que c’était très bien ; qu’il ne fallait jamais oublier ceux qui nous avaient fait du bien, et non plus ceux qui nous avaient fait du mal.

Je n’avais garde d’oublier ceux-ci ; mais que faire, moi, drole d’une huitaine d’années ? Comment venger la mort de mon père sur les messieurs de Nansac ? Ils étaient riches, puissants, la terre était à eux ; ils avaient un château inabordable à leur volonté, des domestiques, des gardes armés, et moi j’étais pauvre et chétif. Je pensais à ça souvent, sans rien imaginer, preuve que je n’avais pas de nature l’idée tournée au mal, quand, le mardi suivant, allant à Thenon