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avec sa lanterne, tandis que tout dort, et d’un coup de palette assomme les imprudents qui s’enjuchent trop bas : ah ! il y a de la misère pour tous les êtres sur la terre.

Le dimanche, ma mère restait à la tuilière, bien contente d’être avec moi, et elle s’occupait de rapetasser nos pauvres hardes, qui en avaient grand besoin, surtout les miennes, car on pense bien qu’avec cette vie dans les bois, à traverser les ronciers, à grimper aux arbres, mes culottes et ma chemise en voyaient de rudes. Ce jour-là, elle faisait de la soupe avec quelque chose qu’on lui avait donné, ou avec des haricots que nous appelons mongettes, et il nous semblait bon de manger comme ça ensemble, étant toute la semaine chacun de notre côté. La nécessité enseigne de bonne heure les enfants du pauvre ; lors donc que j’étais seul, s’il restait un peu de bouillon, je le faisais chauffer quelquefois, et je me trempais de la soupe dans une petite soupière ; mais, ordinairement, j’aimais mieux aller courir.

Avec ça, je mangeais des frottes d’ail, ménageant le sel, comme de juste, car il était cher, ou bien des pommes de terre à l’étouffée, des miques, et puis des fruits venus sur des arbres sauvages, semés par les oiseaux dans les bois : cerises, sorbes ou pommes, ou encore de mauvais percès ou alberges, trouvés dans quelque vigne perdue à la lisière de la forêt. Des fois, ma mère me portait dans la poche de son tablier