Page:Etienne-Gabriel Morelly - Code De La Nature.djvu/195

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous exerçons. C’est sur cette considération seule que se mesurent nos services, et sur les besoins actuels que se proportionnent nos récompenses. Ainsi le pauvre est contraint, par la nécessité, de se contenter d’une fort modique rétribution ; et le riche, qui peut demeurer oisif, ou ceux dont l’opinion a mis les talents en crédit, se font amplement payer de peines fort légères. Or, la puissance souveraine, qui a besoin de l’aide de tous ces talents pour gouverner, verse sur eux des dons qu’elle est obligée de lever sur les plus malheureux. De là cette énorme disproportion avec laquelle les richesses de l’État, qui coulent vers le monarque, se répandent et se portent vers les parties qui ont la force de les attirer, sans compter ce qu’en absorbe la faveur ou l’avarice des grands : de là cette fatale distinction entre les richesses de l’État et celles du particulier.

Est-il possible de dire, dans l’ordre naturel, que le cœur est faible et les membres vigoureux, ou qu’un cœur plein de force puisse laisser les membres sans vigueur ? cela arrive pourtant dans l’ordre de notre politique, au moins alternativement : de là cet éloignement, cette espèce de haine du sujet pour la patrie, et cette dureté de la patrie pour le plus grand nombre de ses enfants. Qu’ai-je affaire, dit le malheureux, que l’on me persécute pour contribuer aux besoins de l’État, de sa prospérité, si elle est pour moi un néant, sans aucune influence favorable ? qu’il périsse : ses malheurs ne peuvent augmenter les miens ; peut—être même des débris de sa chute retirerai-je quelque avantage. Qu’importe, dit le politique, ou celui sur lequel ne tombe point le poids de ce qu’exige le gouvernement, que quelques milliers d’hommes périssent de misère, ou traînent une vie déplorable, pourvu qu’en général la république soit florissante ?