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qui les mit en état de se conserver mutuellement elles-mêmes. Comme il a livré les êtres inanimés à un mouvement aveugle et mécanique, il a de même livré les hommes à ce guide qui les pénètre, pour ainsi dire, et les possède tout entiers. C’est le sentiment de l’amour de nous-mêmes, impuissant sans secours, qui nous met dans l’heureuse nécessité d’être bienfaisants. Notre faiblesse est en nous comme une espèce d’inertie ; elle nous dispose, comme celle des corps, à subir une loi générale qui lie et enchaîne tous les êtres moraux. La raison, quand rien ne l’offusque, vient encore augmenter la force de cette espèces de gravitation.

La bienfaisance est la première de toutes nos idées morales.

Nous apprenons à bien faire, longtemps avant que d’avoir besoin de la leçon de ne point nuire. La durée de notre première débilité est le temps de cet heureux apprentissage ; elle nous laisse bien du temps privés de toute idée malfaisante, pour faire éclore et fortifier en nous celle de la bienfaisance.

L’animal destiné à devenir sociable, passe par une enfance proportionnée au degré de force que doit acquérir ce doux penchant ; ses premiers mouvements sont des signes de besoins, et non des inclinations féroces. Cet âge vif et léger n’est susceptible que d’une impression peu durable de l’offense, que celle du moindre bienfait efface aisément : quelque violentes que paraissent souvent ses agitations, ses inquiétudes, elles sont une marque de sa sensibilité, et non de dépravation ; c’est un être inanimé qui n’a encore essayé de rien, et veut faire épreuve de tout : il ne s’irrite sérieusement contre rien ; il cherche à jouir : sans égard aux obstacles, il tend directement à