Page:Espinas - La Philosophie sociale du XVIIIe siècle et la Révolution.djvu/375

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

obéissance sans bornes, militariser l’industrie, administrer la pensée et même la croyance, ce sont des pratiques gouvernementales qui concoi dent mal avec ces paroles de confiance et d’amour. Il ne voit pas que cette politique, partie de l’individu, aboutit à l’entraîner et à le froisser brutalement dans le mécanisme social, il ne voit pas comment, après lui avoir promis le bonheur, elle exige de lui tout à coup l’abandon de sa propriété, de sa liberté, de sa conscience et de tout son être et que si son premier mot est jouissance et joie de vivre, son dernier est abnégation, soumission, anéantissement. La théorie du Contrat a son principe dans la liberté absolue et l’égalité absolue, elle prétend laisser à chacun des membres du corps social une radicale indépendance ; elle est, à l’origine, toute bonne grâce et toute spontanéité en quoi elle s’oppose entièrement à la politique du droit divin qui faisait dériver l’impulsion sociale d’un pouvoir extérieur, imposé aux volontés : mais une fois le pouvoir nouveau constitué par le libre concours des individus, cette politique devient le niveau qui aplatit, la machine qui comprime, la masse qui écrase ; elle n’a pas su mêler la liberté à l’autorité et concilier le concours avec le gouvernement. Anarchie ou despotisme, embrassades ou guillotine : elle ne connaît point de milieu. Et c’est un étrange renversement que d’avoir voulu établir la discipline la plus rigide dans les administrations civiles et de vouloir bannir toute contrainte de la hiérarchie militaire. Peut-être était-il bon qu’on sût que, pas même dans l’armée, le commandement ne peut se passer du concours : n’est-ce pas ce concours passionné qui fit la force des armées de Napoléon ? Mais il n’était pas bon qu’on s’accoutumât à la dictature et aux coups de force. Il y eut du babouvisme encore dans le coup d’Etat de Brumaire et dans le plébiscite de l’an X.