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« On comptait faire de ce corps une espèce de tribunat. » C’était dire que la place de Babeuf, tribun du peuple, y était marquée d’avance. Qu’est-ce qu’un tribun du peuple ? Ne croyons pas qu’il s’agisse là d’une appellation vague, désignant un orateur virulent, défenseur volontaire des droits du peuple. Dans la langue politique du temps, le mot tribun a un sens défini : l’Evangile de Babeuf va nous le faire connaître[1]. « Quand on ne peut établir une exacte proportion entre les parties constitutives de l’Etat, ou que des causes indestructibles en altèrent sans cesse les rapports, alors on institue une magistrature particulière qui ne fait point corps avec les autres, qui replace chaque terme dans son vrai rapport, et qui fait une liaison ou un moyen terme, soit entre le prince (le gouvernement) et le peuple (considéré comme sujet), soit entre le prince et le souverain, soit à la fois des deux côtés s’il est nécessaire. — Ce corps, que j’appellerai tribunat, est le conservateur des lois et du pouvoir législatif. Il sert quelquefois à protéger le souverain contre le gouvernement, comme faisaient à Rome les tribuns du peuple ; quelquefois à soutenir le gouvernement contre le peuple, comme fait maintenant à Venise le conseil des dix, et quelquefois à maintenir l’équilibre de part et d’autre, comme faisaient les éphores de Sparte. — Le tribunat n’est point une partie constitutive de la cité et ne doit avoir aucune portion de la puissance législative, ni de l’exécutive ; mais c’est en cela même que la sienne est plus grande car ne pouvant rien faire, il peut tout empêcher ; il est plus sacré et plus révéré comme défenseur des lois, que le prince qui les exécute et le souverain qui les donne. C’est ce qu’on vit bien clairement à Rome, quand ces fiers patriciens, qui méprisèrent

  1. Contrat social, livre IV ; chap. v, Du Tribunat.