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compter, selon les maximes de Rousseau, parmi les objets relevant de l’administration publique et contribuer pour sa part à rapprocher nos institutions des principes d’égalité et de liberté absolues qui avaient inspiré la révolution ? Quoi qu’on pense de son action pendant les temps ultérieurs, nous sommes en présence d’un fait : voici que la religion naturelle devient la garantie et la condition du communisme et qu’il faut croire à la vie future pour être un bon sans-culottes. Babeuf n’est pas très orthodoxe ; il incline vers la métempsychose. Mais il regarde aussi à sa façon l’immortalité comme la sauvegarde de la vertu. « La vertu ne meurt pas, » dit-il pendant son procès ; « les tyrans s’abusent dans leurs atroces persécutions ; ils ne détruisent que des corps ; l’âme des hommes de bien ne fait que changer d’enveloppe ; elle anime, sitôt la dissolution de l’une, d’autres êtres chez qui elle continue d’inspirer les mouvements généreux qui ne laissent jamais de repos au crime dominateur[1]. »

Joignons à ces solennités du culte renouvelé de Robespierre, des institutions comme celle de la censure publique, imitée de l’antiquité. Ce sont des assemblées qui auraient exercé la censure sur les magistrats sortant de charge et

  1. Buonarroti, t. I, p. 89, 248, 254, 258 ; II, p. 33. Voir plus haut, p. 312, la profession de foi spiritualiste où Buonarroti déclare puiser « une nouvelle raison en faveur de l’égalité naturelle. » « Le moi humain, dit-il, étant indivisible et pur et dérivant toujours de la même source, est nécessairement égal dans tous les individus de notre espèce. » Ainsi le spiritualisme est appelé, en même temps et au même titre que le sensualisme, son contraire, à fonder le socialisme ! Il est vrai que ces doctrines ont l’une et l’autre exclusivement l’individu pour objet. Et il faudrait voir si dans le sensualisme il n’y avait pas un résidu de spiritualité. Locke est sensualiste et chrétien. L’état de nature est un postulat théologique ; il suppose que Dieu a voulu que l’homme fût ce qu’il était avant le pacte social et que c’est en vertu des mêmes décrets éternels que la liberté et l’égalité primitives doivent être restaurées par la politique de la vertu. Mais il n’y a entre les diverses philosophies spéculatives et les règles pratiques qu’un rapport historique et contingent.