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bout des préjugés aussi bien que dans une petite peuplade. « De cette grande et fréquente communication d’hommes et de choses doit nécessairement naître un sentiment de bonheur, de fraternité et de dévouement si général et si fort qu’il est à présumer que nulle force humaine ne pourrait ni envahir le pays, ni y détruire les institutions de l’égalité, dès qu’elles y seraient solidement établies. »

Administration des produits. – L’Etat concentre tous les produits dans de vastes magasins publics[1] et les répartit par voie administrative entre les citoyens. La base de cette répartition n’est pas la capacité productive ou le mérite. L’unité est la même pour tous ; c’est ce qu’on pourrait appeler le temps de besoin qui coïncide d’ailleurs généralement avec le temps de travail, puisque tous sont contraints au travail manuel, sauf les vieillards, les enfants et les infirmes. Nous savons que le droit au bonheur, c’est-à-dire à la distribution égale des objets nécessaires, est la clause essentielle du pacte social[2].

La difficulté est de distribuer également ces objets. Il faut tenir compte des inégalités naturelles entre les participants. De même qu’on ne peut exiger la même durée de travail de deux individus très inégalement doués sous le rapport de la force physique, on ne peut sans injustice donner une même quantité d’aliments à des estomacs dont les besoins ne sont pas semblables. « L’homme qui, pour apaiser une soif ardente boit une bouteille d’eau, ne jouit pas plus que son semblable qui, faiblement altéré, en avale une chopine. Le but de la communauté en question

  1. Tome I, p. 213. Rousseau parle souvent de ces magasins
  2. Tome I, note de la page 257, où les principes du Contrat social sont invoqués, avec cette différence que Rousseau appuie sur la liberté, tandis que Buonarroti appuie sur l’égalité des contractants.