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de l’une et de l’autre et préludent ainsi au positivisme de Cabanis et de Saint-Simon[1]. Ce qui les empêche d’aller plus loin et de laisser leur plein essor aux travaux scientifiques, c’est l’influence de Rousseau qui les domine : ils se défient, de ce progrès des lumières dont le siècle retentissait : ils sont inquiets en présence de la civilisation moderne. « En considérant les choses sous d’autres aspects, on voyait naître du raffinement des arts le goût des superfluités, le dégoût des mœurs simples, l’amour de la mollesse et des rivalités. » On craignait les tendances aristocratiques des inventeurs et des savants, les prestiges de l’éloquence, la facilité qu’auraient des hommes distingués à se faire une situation privilégiée dans l’Etat. « Au poids de ces tristes réflexions se joignait celui de l’opinion de Jean-Jacques Rousseau qui avait dit, d’après l’histoire, que jamais les mœurs et la liberté n’avaient été réunies à l’éclat des arts et des sciences. » Les conjurés étaient donc fort embarrassés de savoir si la profession scientifique compterait ou non dans la société nouvelle au nombre des emplois utiles, par conséquent ordonnés, et en général s’ils devaient absoudre ou condamner la civilisation leur arrestation les dispensa de résoudre ce problème[2]. Sachons-leur gré de leur hésitation et ajoutons qu’ils inclinaient comme leurs contemporains vers une organisation publique de l’instruction, avec un « dépôt des connaissances humaines » comme centre. La République des Egaux aurait eu peut-être son Institut ; mais elle aurait exigé de ses membres, pour autoriser leurs recherphes, un certificat de civisme[3].

  1. Saint-Simon condamnera métaphysiciens et juristes et leur attribuera une grande part des maux de l’humanité.
  2. Buonarroti, t. I, p. 292. et 293. Advielle, t. I, p. 209 : citation d’un Résumé des utopies de Babeuf, par M. Buonarroti, qui se trouve dans l’Encyclopédie nouvelle, article Babeuf.
  3. De Babeuf, Advielle, t. II, p. 301.